Juliette Caron (1882-1940) - Charpentière

 


Juliette Caron, née le 6 mai 1882 à Baron près de Senlis (Oise), est Pupille de l'Etat. Elle a été reconnue en 1911 comme la seule femme charpentière en France, travaillant sur le chantier des casernes à Montluçon (Allier). 

Le peu de choses que nous connaissons d'elle se trouve aux Archives de l'Allier et dans quelques coupures de presse. Elle commence sa vie active comme servante de ferme et se marie à deux reprises. D'abord avec François Maillot en 1902 dans la commune de Torteron, située dans le département du Cher. Le couple s'installe par la suite à La Guerche-sur-l’Aubois. Toutefois, leur union prend fin en 1908, date à laquelle ils se séparent légalement. Trois ans plus tard, en 1911, Juliette trouve à nouveau l'amour et se remarie, cette fois avec Alphonse Fleurier.

Elle fait l'objet d'un article de presse le 09 septembre 1911 dans L'Express du Midi : « Après la femme facteur, voici, la femme charpentier, elle travaille en ce moment aux casernes de Montluçon et n’est pas 1'objet d’une mince curiosité. Mme Juliette Caron, qui est née le 6 mai 1882, à Senlis, est, paraît-il, la seule femme exerçant en France ce dur métier. Et elle ne manque pour cela ni de force ni d’adresse. Avant de venir aux casernes de Montluçon, elle avait participé à. la construction d’un château, dont certaines exécutions de détail avaient été assez malaisées. L’œuvre presque achevée, il restait un dernier travail a accomplir, au sommet. Les charpentiers mâles refusèrent de l’entreprendre, comme trop dangereux. Ce fut elle qui l’exécuta. Du moins est-ce elle qui l’affirme ; car elle colporte elle-mêrne sa légende et sa carte postale. »

Puis le 06 avril 1911 dans Le Bonhomme Limousin : Cette « charpentière » est la femme d’un compagnon, M. Alphonse Fleurier, avec lequel elle travaille. Vêtue d’un complet de velours vert avec une jupe-culotte, coiffée d'un polo de laine grise, Mme Fleurier a été bien accueillie par tous ses camarades de labeur. Grande, mince, la « charpentière », très robuste, est acharnée à l’ouvrage. Elle exerce le métier depuis quatre ans et gagne environ cinq francs par jour ; lorsqu’elle exécute des travaux à la tâche, son salaire journalier varie de huit à dix francs. En ville, l'apparition de la femme-charpentier provoque une vive curiosité. Née Juliette Caron, Mme Fleurier est, probablement, en France, la seule « charpentière ». Elle est originaire de Senlis (Oise) et est âgée de vingt-neuf ans. »

Le 13 avril 1911 dans Le Parisien : Montluçon possède une femme charpentier. Mme Fleurier travaille aux côtés de son mari, sur les chantiers des nouvelles casernes. Le « compagnon » en jupons est un bon camarade. Depuis quelque temps, les habitants de Montluçon étaient intrigués en voyant circuler dans leurs rues, le matin et le soir, un charpentier accompagné d'une jeune femme, grande, mince, blonde, au visage agréable, coiffée d’un polo de laine grise, vêtue d'un complet de velours vert composé d'une veste à ceinture et d'un pantalon-jupe descendant au-dessous du genou. C’est Mme Fleurier, la « femme charpentier ». Je me suis rendu auprès du mari de ce « compagnon » d'un nouveau genre, pour obtenir de lui quelques détails sur une aussi curieuse vocation.
— Nous travaillons depuis quelque temps sur les chantiers des casernes, m'a dit M. Fleurier. Ma femme, née Juliette Caron, est originaire de Senlis et âgée aujourd’hui de vingt-neuf ans. Elle exerce le métier depuis quatre ans, et je puis vous affirmer qu'il n’y a pas de meilleur compagnon qu'elle, ne lâchant jamais l’ouvrage un seul instant. Jamais elle ne se lasse ni ne se blesse.
J’ai demandé ensuite à Mme Fleurier elle-même comment lui était venue cette vocation pour le métier de charpentier qu’on n'a pas encore vu, je crois, exercer par une femme.
— C’est bien simple, m'a répondu la jeune femme, il y a quelques années, mon mari était tâcheron à Lurcy-Lévy (Allier), où il avait entrepris divers travaux de charpente pour lesquels il avait embauché des ouvriers. N’ayant pas d'enfants et les soins du ménage ne m'absorbant pas beaucoup, j’allais, de temps à autre, donner un coup de main aux compagnons. Je pris ainsi rapidement goût au métier. En présence de mes dispositions et de mon insistance à vouloir travailler avec lui, mon mari me confia d'abord des besognes commodes, que je réussis bien. Je persévérai et appris vite le métier. Depuis, nous avons toujours travaillé ensemble. Successivement, nous sommes allés à Saint-Pierre-le-Moûtier (Indre) et ensuite, à Trévol (Allier), où nous avons exécuté de très importants travaux de charpente pour la restauration du château d'Avrilly. La première fois que je suis montée sur un échafaudage — c'était à 7 m 50 au-dessus du sol — j’ai eu un peu le vertige, mais je me suis vite habituée, et au château d’Avrilly, j’ai descendu la girouette, placée sur un toit, à 18 m. 50 de hauteur, parce qu’aucun ouvrier n’avait voulu effectuer cette ascension périlleuse. Rien, cependant, dans mes antécédents, ne m’incitait à devenir charpentier, poursuit Mme Fleurier, car, avant de me marier, j’étais occupée dans les fermes, en Normandie et en Picardie, mais ce qui m’a surtout décidée, c’est le désir de gagner de bonnes journées. Actuellement, je travaille à l’heure et ma journée me vaut de 4 fr. 50 à 5 francs. Quand je travaille à la tâche, je gagne de 8 à 10 francs par jour. Ça vaut mieux que de faire de la couture !
Les mains de Mme Fleurier sont longues, effilées comme celles d’une pianiste, et ne portent aucune marque de déformation professionnelle. Cette jeune femme supporte admirablement, paraît-il, son rude métier d’homme.
— Quel accueil, madame, vous fait-on. sur les chantiers ? demandai-je encore à Mme Fleurier.
— Partout, les compagnons et les autres ouvriers des chantiers m’ont toujours bien accueillie. Tous ont été. pour moi, très polis, sans aucun sarcasme ni brocard. Il en est de même, à Montluçon. sur le chantier des casernes, où je n'ai qu’à me louer de la confraternité des ouvriers. D’ailleurs, ne suis-je pas un de leurs camarades ?
Et, très fière, la « charpentière » montre, émergeant de la poche de son pantalon-jupe, un mètre pliant, une jauge et un compas qui sont ses insignes de travailleuse. »

Puis le 03 mai 1911 dans Le Petit Journal : « Sur les chantiers de construction des nouvelles casernes d'infanterie que la ville de Montluçon fait édifier sur le plateau du Cluzeau, parmi les nombreuses équipes d'ouvriers qui y travaillent, on peut voir, actuellement, une jeune femme occupée aux besognes de charpentier. Cette « charpentière » est la femme d'un compagnon, M. Alphonse Fleurier, avec lequel elle travaille. Vêtue d'un complet de velours vert, elle porte une jupe-culotte ! Née Juliette Caron, Mme Fleurier est, probablement, en France, la seule « charpentière ». Elle est originaire de Senlis (Oise) et est âgée de vingt-neuf ans. »

On la retrouve le 18 mai 1914 dans Le Petit Parisien, article intitulé « L'habit ne fait pas le moine » : « Il y a quelques années, le Petit Parisien exposait a ses lecteurs le cas d'une femme de Montluçon qui avait choisi la profession de charpentier. Vêtue d'une jupe-culotte, elle faisait l'admiration des Montluçonnais tant par sa hardiesse que par son ardeur au travail. Quoique revêtue de vêtements masculins, Juliette Caron n'en est pas moins femme, et elle vient de le prouver en abandonnant son chantier et son amant pour aller filer, en quelque nid discret, le parfait amour avec un caporal d'infanterie. Cette fugue serait banale et facilement excusable si Juliette Caron n'avait pris la précaution de se lester d'une importante somme d'argent appartenant à son ami délaissé, un ouvrier charpentier du nom d'Alphonse Fleurier qui, tout marri, est allé conter sa mésaventure à M. Chassaing, commissaire central. »

De novembre 1915 à janvier 1916, à Montluçon, Juliette Caron fait l'objet d'une surveillance attentive de la part de la Gendarmerie. La raison de cette surveillance est sa correspondance avec un prisonnier allemand détenu dans la prison locale. En outre, elle réside très près du lieu où sont détenus ces prisonniers. En novembre 1915 elle est arrêtée suite à l'évasion d'un prisonnier allemand, car estimée complice. Un rapport rédigé par un gendarme mentionne : « La femme Caron n'exerce aucune profession. Elle fréquente les militaires et elle se livre à la prostitution. Sa conduite et sa moralité sont très mauvaises. Au cours d'une perquisition que j'ai effectué chez elle le 12 novembre dernier, j'ai saisi la correspondance qu'elle avait échangée avec un prisonnier allemand (...). »
Un témoin raconte : « Pendant que la femme Caron a habité la maison, elle vivait en concubinage, tantôt avec des civils, tantôt avec des militaires. Elle recevait particulièrement de ces derniers chez elle jusqu'à une heure avancée de la nuit. Je ne l'ai jamais vu correspondre avec les prisonniers de guerre. Toutefois, elle aurait pu le faire sans que je m'en aperçoive, son jardin étant situé au pied de la tour du dépôt des prisonniers de guerre. Elle se livre à la prostitution et a une conduite et une moralités déplorables. »
Juliette Caron, qui sait lire et écrire, se défend et la lettre du directeur de la Sûreté générale au Préfet de l'Allier en date du 22 janvier 1916 clôt l'affaire : (...) j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il ne me parait pas possible de détenir administrativement la nommée Caron Juliette, ni de l'éloigner de Montluçon, aucune preuve n'ayant pu être relevée établissant qu'elle a favorisé cette évasion. »

Le 13 janvier 1917 dans L'Humanité on retrouve Juliette dans l'Aube et on apprend qu'elle est à nouveau charpentière (si toutefois elle avait vraiment arrêté son métier pour devenir prostituée...) : « Troyes possède une femme, Juliette Caron, née à Senlis en 1882, qui exerce la dure profession de charpentier dans les chantiers de la filature Dupond. Vêtue d'un pantalon de cycliste et d'une vareuse marron, elle manie la besaiguë avec dextérité, grimpe aux échelles avec de lourdes pièces de bois sur le dos, et touche le même salaire qu'un homme. » 

En 1926, Juliette se marie pour la troisième fois avec Émile Marque, à Dugny, département de la Seine, aujourd'hui en Seine-Saint-Denis. Elle est domiciliée au 115, route de Saint-Denis.

Le 3 juin 1940, à l'âge de 58 ans, Juliette Caron perd la vie lors d'un bombardement allemand à Bobigny. En tant que victime civile des hostilités, elle reçoit posthumément en 1943 la distinction de « Mort pour la France ». Son nom figure sur le monument aux morts de Dugny, sous le nom de son époux, « MARQUE Marie Juliette ».

Juliette Caron a été remise à l'honneur par Juliette Rennes lorsqu'elle a publié en 2013 : Femmes en métiers d'hommes (cartes postales, 1890-1930). Une histoire visuelle du travail et du genre, Bleu Autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule.






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